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8 octobre 2006

Chapitre 2 ( 2 )

En même temps que ses cigarettes, Anselme sortit de son sac une boîte de crayons pastel. - Tu as du papier blanc Nahida ? - Oui, dans la bibliothèque. Il y a un abattant qui me sert de bureau. A droite tu trouveras du papier pour imprimante et du papier à lettre. Prends ce que tu veux. Lorsqu'elle revint de la cuisine avec un plateau sur lequel elle avait posé la théière, quatre verres à thé et les gâteaux, elle trouva Fati, rêveuse assise en tailleur sur tapis et Anselme, toujours à table qui dessinait. Elle posa le plateau devant Fati et s'assit dans son coin, appuyée au mur. Du tas de coussins, elle tira le gros noir qu'elle préférait et le glissa derrière son dos en soupirant d'aise. - Alors, ma Fati, on y va comment au Maroc ? En voiture ? - Je ne sais pas. Même en conduisant toutes les deux, il nous faudra bien un jour et demi pour traverser l'Espagne plus une demi journée à Algésiras, entre l'attente pour embarquer, le traversée et la douane Marocaine. Encore une demi journée pour aller à Rabat Et pareil pour le retour. Rien que pour le voyage aller retour, en gros il faut compter cinq jours. Je ne sais pas combien de temps il faut pour aller de Rabat à Essaouira mais ce que je sais, c'est que je ne peux pas aller au Maroc sans passer voir ma famille. Tu vos un peu, à ce train, ce n'est pas une semaine qu'il nous faudrait mais un mois. - Et si on prend l'avion ? Où on atterrit ? - A Casa ou à Marrakech, le mieux serait d'arriver à Casa. On louerait une voiture, Casa Rabat c'est à trois quart d'heure une heure de route. Si on arrive de bonne heure le matin à Casa, on va chez ma grand-mère à Rabat, on y passe la journée et la nuit et le lendemain, en route pour Essaouira. Anselme arriva avec son dessin à la main et s'assit à coté de Nahida en tirant un coussin à lui. - Rabat- Essaouira, ça dépend par où vous passerez mais il faut compter la journée? Je vous conseille de prendre la route côtière. Elle est un peu étroite et dangereuse à cause des camions, mais elle est magnifique. Et puis, vous me ferez le plaisir de vous arrêter à El Jadida . Les remparts et la citerne valent le détour . Je compte sur vous pour faire des photos. On exposera les meilleures. Je suis tellement contente, vous vous rendez compte, on parle tranquillement de mon rêve le plus cher dit Nahida en prenant le dessin d'Anselme. Le Maroc, c'est pas l'Algérie mais c'est le Maghreb. Quelle joie ! - Tu auras peut-être l'occasion d'aller en Algérie ? - Pour le moment, je n'y compte pas trop. Je ne veux pas y aller sans mes parents et mon père ne veut pas y retourner. Elle regardait le dessin d'Anselme qui ne ressemblait pas du tout à sa peinture habituelle, beaucoup plus figuratif que ce qu'elle connaissait. C'était une multitude de visages imbriqués les uns dans les autres, surtout des regards et on reconnaissait nettement dans le visage du fond, celui qui semblait émaner ou recevoir tous les autres, la forme de l'Afrique. L'ensemble était dessiné à grands traits noirs avec des ombres rouge sombre. Elle trouvait ça très beau. Le rouge et le noir, les couleurs d'Anselme, pour une fois ne lui paraissaient pas du tout inquiétantes. Il lui prit le dessin des mains et dit en souriant. - Il y avait une telle densité tout à l'heure dans cette pièce, qu'il a fallu que je l'absorbe dans mon dessin. Comme je sais que tu n'aimes pas ce que je fais d'habitude, j'ai changé un peu le style. S'il te plaît, je te le donne. Tu as de la chance, tu as un très beau papier à lettre entoilé qui fait bien ressortir le pastel. Nahida rougit en regardant Fati. C'est-elle qui a du lui dire que je n'aime pas sa peinture, elle exagère . - Ce n'est pas ça, d'ailleurs, je ne connais rien à la peinture, mais ce dessin me plaît énormément, je trouve qu'il résume bien à sa façon notre conversation de tout à l'heure. Mais ta peinture, elle est si tendue, elle me fait penser à un cri dans la nuit. - Et bien, tu n'aimes pas ma peinture mais tu la comprends bien ! C'est exactement ça, un cri dans la nuit, plus deux ou trois autres petites choses tout de même. Dans la lumière tamisée de la pièce, elle vit son regard se troubler et ses yeux d'habitude si bleues, virer au noir. Cet accès de violence à peine perceptible la troubla. Elle ajouta presque malgré elle - C'est ça, c'est ce qu'exprime ta peinture qui me fait peur, mais toi, je t'aime bien, ça n'a rien à voir. - C'est parce que tu t'arrête à la surface des choses dit Fati. Ce qui fait la différence, ce n'est pas le prétexte, c'est la technique. Parmi les jeunes qu'on expose, les uns ont quelque chose à dire, on voit bien qu'ils cherchent comment le dire, il reproduisent dix fois, vingt fois le même thème, un peu comme quant on a un mot sur le bout de la langue puis tout à coup, c'est le déclic, l'explosion, ça y est c'est mûr et ce n'est pas ce qui est exprimé qui est important mais la façon de l'exprimer qui fait la différence entre une croûte et une oeuvre. D'autres, qui ont peut-être autant de choses à dire ne seront jamais de bons peintres, parce qu'ils se contentent de reproduire une technique apprise sans jamais se l'approprier. A partir de là, figuratif, non figuratif, abstrait, ce ne sont que des mots, voire des modes. En poésie par exemple, c'est pareil, tout le monde peut s'émouvoir d'un clair de lune, de l'automne, ou d'un sourire d'enfant, mais c'est la technique, la façon de dire son émotion qui en font soit un poème soit quelque chose de plat, limite vulgaire. - Voilà pourquoi, j'aime travailler avec Fati dit Anselme en souriant. En trois phrases, elle remet toutes les pendules à l'heure. - Bien sur, c'est son métier et il la passionne, mais le public est bien obligé de rester à la surface, comme moi. - Non, non, ne crois pas ça, un bon peintre, comme un bon poète ou chanteur, ou compositeur, c'est celui qui est capable, par son langage de se faire comprendre d'un maximum de gens. Ce qu'il dit, finalement est secondaire, question d'appréciation personnelle. Je trouve Dali glauque mais il ne m'est pas possible de dire que ce n'est pas un grand peintre . Tu vois ? - Oui, Fati a raison, il y a peu de chances pour qu'un peintre ringard fasse carrière longtemps, mais tout n'est pas si simple, il y a des modes, le talent des galeristes à placer leurs poulains, le snobisme d'un certain public, sans compter ceux qui espèrent faire un placement financier. Mais dites, il s fait tard, là, tout le monde travaille demain, il faudrait peut-être y aller. Tu viens Fati, je te pose chez toi en passant. - Non, non, vas-y, je donne un coup de main à Nahida pour tout ranger et je rentre. - Alors rangeons et je te ramène. - Voyons Anselme, chaque fois qu'on sort ensemble c'est la même chose. J'habite à deux pas d'ici et jusqu'à nouvel ordre, on ne risque rien dans les rues de Montpellier. - Je préfère te ramener chez toi. A nouveau, Nahida capta le nuage sombre dans les yeux d'Anselme. - Allez y, je n'ai pas grand chose à ranger. De toutes façons, je ne vais pas pouvoir dormir tout de suite, je suis trop excitée. - Il est pire que mon père , s'insurgea Fati. Lui au moins a fini par admettre que je pouvais sortir seule le soir.
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