Arrivée à Antigone, Nahida tourna bien dix minutes avant de trouver une place où se garer. Son bureau était situé place du Nombre d'Or et elle aimait bien ce quartier tout neuf. Il était pour elle le symbole d'une certaine réussite sociale et puis, elle trouvait cette que architecture très maniérée faisait décor de bande dessiné, un peu comme elle se fantasmait elle même et son job .
Elle allait être en retard, c'est sur. Il ne lui restait plus qu'à espérer que son secrétaire serait en avance pour faire patienter son client. Elle avait tout de suite apprécié ce gendarme à la retraite, calme, réfléchi, solide. Elle était heureuse de l'avoir à ses cotés malgré son ton un peu paternel parfois. Au début, il l'appelait cérémonieusement mademoiselle Nahida et il faisait scrupuleusement le mi-temps qu'ils avaient convenu. Elle sut qu'elle l'avait conquis lorsque, à la fin de sa seconde enquête, i s'était mis à l'appeler Matoub et à la tutoyer comme un collègue. Elle par contre continuait de l'appeler Gabriel et le vouvoyait . Depuis peu, il ne comptai plus ses heures ce qui la gênait car elle n'avait pas les moyens de le rémunérer pour un plein temps mais lorsqu'elle lui en avait parlé, il avait répondu qu'il n'avait pas encore l'âge de passer ses journées devant la télé et que du moment qu'il pouvait prendre un après-midi ou une journée lorsqu'il en avait besoin, tout était parfait. Quant elle arriva, finalement juste à l'heure, elle trouva Gabriel et son client en train de bavarder devant un café, dans la pièce d'accueil qui était aussi le bureau de Gabriel.
- Monsieur Escudier nous est envoyé par maître Deltour, annonça Gabriel
- Ah, parfait.
- Vous le connaissez je crois ?
- Oui, c'était mon responsable de stage.
- Maître Deltour est depuis toujours l'avocat de mes grands-parents et lorsque je lui ai exposé mon problème, il m'a envoyé vers vous.
Il finit son café et Nahida le fit entrer dans son bureau.
- Installez vous lui dit-elle en lui indiquant l'un des deux gros fauteuils club confortables, qui faisaient face à la fenêtre derrière elle. Elle avait bien réfléchi à cet aménagement de la pièce, la lumière directe du jour, ou des deux halogènes derrière elle le soir, avait le double avantage d'éclairer ses visiteurs tout en la laissant elle dans l'ombre. Cette disposition était moins intimidante, soulignait que l'important n'était pas elle mais ses clients et lui permettait dans un même temps de bien les observer sans les gêner.
Pendant qu'elle cherchait une chemise cartonnée neuve dans l'un des tiroirs de son bureau, elle se demanda qu'est-ce qui pouvait bien amener un homme jeune et aussi détendu chez elle. Il s'était assis tranquille, souriant, les jambes croisées. D'habitude ses clients étaient plus stressés.
- Alors, qu'est-ce qui vous amène ?
- Et bien, c'est une vieille histoire assez compliquée. Je ne sais par où commencer
- Attendez, avant de commencer, je dois vous signaler que je vais enregistrer notre conversation. Si vous décidez de donner suite à votre démarche, nous la verserons à votre dossier, sinon, nous l'effacerons ensembles. D'accord ?
- Entendu . Alors voilà, quand j'ai eu deux ans, mes parents ont divorcé. Ma mère est partie, d'abord au Maroc, puis, semble-t-il au Canada avec un ami. Ce sont mes grands-parents qui ont obtenu la garde. A l'époque c'était très rare que la garde des enfants ne soit pas confiée à la mère mais je suppose que l'abandon du domicile conjugal et sa fuite à l'étranger ont pesé très lord dans la balance. Mon père qui était très jeune à peine vint-quatre ans à l'époque est revenu vivre chez ses parents mais, il n'a pas supporté ni cet échec ni la séparation et, un an après que le divorce eût été prononcé, il s'est suicidé. A sa mot, tout naturellement , mes grands-parents ont continué de s'occuper de moi, ce sont eux qui m'ont élevé. malgré ce drame, j'ai eu une enfance très heureuse. Je savais bien qu'un mystère planait autour de mes premières années, mais j'évitais d'en parler. L'amour dont j'étais entouré me suffisait et j'avais peur de tout détruire en posant des questions. Cependant, le jour de mes seize ans, mes parents m'ont raconté toute l'histoire. Ils m'ont dit aussi qu'ils n'avaient plus jamais eu de nouvelles de ma mère, mis à part deux cartes postales , une d'Essaouira au Maroc, l'autre de Vancouver au Canada . Les deux cartes, qu'ils m'ont remises ce jour là m'étaient adressées et datent toutes les deux de 1966, l'année où mon père s'est donné la mort. Ils m'ont dit aussi ce jour là que ma mère était originaire de Nîmes, qu'elle avait été élevée ainsi que sa soeur par une vieille tante, mais qu'ils ne savaient rien de plus. La soeur de ma mère était présente au mariage de mes parents, c'est d'ailleurs la seule fois où ils l'ont vue, quant à la tante, ils ne l'ont jamais rencontrée. Je m'étais contenté de ces explications jusqu'à présent. Je suis heureux et je considère mes grands-parents comme s'ils étaient mon père et ma mère que je n'ai pas connus. Depuis que mes grands-parents m'ont expliqué l'histoire de mes parents réels, je me suis habitué, même si ça peut paraître égoïste, à ne voir en eux que des enfants tourmentés un peu irréels. Seulement voilà, ma femme et moi attendons notre premier enfant et la famille disparue sans laisser la moindre trace du coté de ma mère me pèse de plus en plus . Ce n'est pas l'absence de ma mère qui me chagrine, non, c'est plutôt que j'ai l'impression de m'être mis à boiter de tout un coté.
Pendant que son client parlait, Nahida avait ris des notes et gribouillé dans la marge de son bloc des rectangles en forme d'arbre généalogique. Elle comprenait parfaitement ce que son client expliquait. Elle aussi avait l'impression d'être amputée de toute une famille, de tout un pays.
- Ce que je voudrais, c'est que vous recherchiez non pas ma mère mais sa famille, ma famille maternelle.
- Si je retrouve quelque chose, vous êtes conscient que peut-être ils n'ont pas envie eux, de reprendre contact avec vous ? Car enfin, s'ils ne se sont jamais manifestés, c'est que probablement, ils ont une raison.
- C'est possible, ou peut-être ils ne connaissent pas mon existence. De toutes façons, je ne veux pas créer de problème, je ne me ferai sans doute pas connaître. Je veux seulement savoir qui ils sont, qui je suis en définitive et aussi qui sera notre enfant.
- Oui, pour un quart seulement, en ce qui concerne l'enfant.
- C'est vrai, vous avez raison, mais quand même . C'est bizarre que ce genre de question se pose justement lorsque un nouvel être va venir.
- Non, je ne trouve pas, je trouve ça au contraire assez normal. Vous avez parlé de cette démarche avec votre femme ?
- Oui, elle ne comprend pas très bien ce qui me tracasse mais elle est d'accord avec moi et pense que je dois faire ces recherches si ça me paraît indispensable.
- Bon. Pouvez-vous me dire pour quelles affaires vos grands-parents étaient en relation avec maître Deltour ?
- D'après ce que m'a dit ma grand-mère, c'est lui qui s'est occupé d'obtenir qu'ils aient la tutelle après la mort de mon père. Ensuite, ils l'ont revu pour des histoires d'héritage.
- Vos grands-parents vivent toujours ?
- Ma grand-mère seulement. Mon grand-père est mort il y a cinq ans déjà.
- Vous croyez que je peux lui rendre visite ?
- Mais oui, bien sur, c'est une dame assez âgée mais pleine d'entrain, vous verrez.
- Vous avez des papiers, des documents qui me permettraient d'orienter mes recherches ?
- Oui, j'ai là le dossier de tutelle, le livret de famille de mes parents, les cartes postales de ma mère et d'autres papiers.
- Vous avez des photos ?
- Non, rien, mon père a paraît-il tout déchiré.
Nahida sortit un ordre de mission qu'elle lui fit remplir et signer tout en lui expliquant comment allaient se dérouler les choses, puis ils se levèrent pour aller faire une photocopie de sa carte d'identité dans le bureau de Gabriel.
- Comme vous avez pu le lire sur l'ordre de mission que vous avez signé, je m'engage à vous faire parvenir toutes les semaines un compte rendu de mon enquête. Vous trouverez aussi dan mon courrier une note d'honoraire ainsi que le détail des frais que je serais amenée à engager. Si de votre coté vos apprenez quelque chose ou si vous avez un doute sur ce que je découvrirai, surtout téléphonez-moi. N'hésitez pas . Et si vous décidez d'arrêter les recherches avant que l'enquête ne soit finie, il vous faudra me prévenir une semaine à l'avance.
- D'accord, j'attends avec impatience vos premiers résultats.
- A oui, j'oubliais, donnez-moi le numéro de téléphone de votre grand-mère. Je lui passerai un coup de fil avant d'aller la voir.
Il lui inscrivit le numéro au dos d'une de ses cartes de visite, leur serra la main et sortit.
- Dis donc, tu en prends des précautions avec ce monsieur Escudier !
- C'est mon premier client direct . Jusqu'à présent mes clients étaient des cabinets d'avocats qui savant parfaitement à quoi s'en tenir et puis, vous verrez le dossier. Je troue vraiment drôle que les grand-parents n'aient pas cherché à entrer en contact avec la famille de sa mère. Au moins la tante qui doit être de leur âge . Si ça se trouve, on va tomber sur une sacré histoire.
Elle se dirigea vers le frigidaire du bureau
- Vous vouez un coca Gabriel ?
- Non mais, elle cherche à m'empoisonner ? Non, je ne veux pas de coca, passes moi plutôt une bière.
Elle posa une canette de bière et un verre sur le bureau de Gabriel et alla chercher la cassette de l'entretient
- Tenez, vous vous ferez une idée.
- Je finis de taper ce rapport et je m'y mets. A propos de clients directs. Il faudrait mettre un store ici aussi, d'abord je prends des coups de soleil sur le crâne derrière cette vitre et en plus, ça pourrait être gênant pour nos clients si quelqu'un les reconnaissait depuis la rue.
- Vous savez ce qu'on pourrait mettre ? Un énorme bougainvillée.
- C'est ça, des fleurs ! Et quand les clients entreront, je n'aurai qu'à faire cui-cui et ils me prendront pour un oiseau exotique !
Nahida éclatât de rire. Avec les écouteurs du Dictaphone passés par dessus son inamovible casquette landaise et son mètre quatre-vingt, elle trouvait effectivement qu'il avait l'ai d'un drôle d'oiseau mais pas exotique du tout. Ils étaient encore en train de rire lorsque le téléphone sonna. Gabriel décrocha, un reste de rire dans la voix.
- C'est Fati
Je la prends dans mon bureau et quand elle aura raccroché, vous m'appellerez la grand-mère Escudier. Je voudrais prendre rendez-vous avec elle le plus tôt possible.
- Allô Fati ?
- Oui, c'est moi de nouveau . " c'est la fin quand il est au bout "
- " Vie "
- Non, en sept lettres et au masculin. On s'amuse bien chez vous ! Je vous entendais rire d'ici . Ca ne fait pas sérieux.
- C'est Gabriel qui avait eu de ressembler à un oiseau exotique et je l'ai tout de suite imaginé comme la fille sur un perchoir. Tu te souviens de cette pub ?
- Ah oui ! C'était Vanessa Paradis pour un parfum je crois. Elle pouffa. avec la casquette et la moustache, je l'y vois !
- Dis-moi, Fati, tout à l'heure j'étais pressée à cause de mon rendez-vous mais tu comprends bien qu'il ne m'est pas possible de rien rechercher dans la vie d'Anselme comme ça. C'est sa vie privée. Tu n'es pas de sa famille " rouleau" et du moment qu'il ne nuit à personne, il fait ce qu'il veut .
- Oui, pour "rouleau" et oui, je comprends, tu as raison mais j'étais tellement bouleversée tout à l'heure. Il me semblait que si j'avais su ce qui le mettait dans cet état, j'aurais pu l'aider.
- Bon, je suis contente que tu sois d'accord avec moi.
- Dis, je te téléphone, qu'est ce que tu fais ce soir ?
- Quelle heure est-il ? Cinq heures et demi. Il faut que je téléphone pour prendre un rendez-vous puis j'ai promis à ma mère de l'amener faire des courses. Je mangerai chez eux ce soir. Ils se sentent un peu seuls depuis que j'ai déménagé.
- Ah, parce que j'avais pensé qu'on pourrait faire quelque chose. On fermera la galerie de bonne heure et Anselme est d'accord pour une petite sortie. Ca lui changerait les idées tu ne crois pas ?
- C'est une bonne idée, oui, et si vous veniez chez moi ? De toute façon, je dois amener ma mère faire ses courses. Je prendrais de quoi faire un tajine et toi, tu apportes le dessert. Ca sera plus calme qu'au restaurant. Mais pas question de cuisiner Anselme, on est bien d'accord.
- D'accord, on fait comme ça et puis, je t'ai dit que tu avais raison pour le reste alors, on n'y revient pas dessus. Mais quand même, c'est vrai qu'il ne parle jamais de sa famille.
- Fatima !
- Oui, oui, on sera à neuf heures chez toi, ça va ?
- Ca marche à ce soir.
Elle repassa dans le bureau de Gabriel. Elle ne fermait pas la porte de séparation lorsqu'elle ne recevait pas de clients mais elle préférait être à son poste de travail. Elle s'y sentait bien et elle adorait se déchausser et caresser la moquette avec ses pieds tout en travaillant.
- Alors, qu'est ce que vous en pensez ?
- De monsieur Escudier ou de monsieur Anselme ? Pour ce qui est de monsieur Anselme, je ne sais pas ce que Fati a en tête mais tu as raison de la mettre en garde. Pour ce qui est de monsieur Escudier en plus de ce que tu soulignais tout à l'heure, je trouve étrange qu'il dise bien qu'il ne cherche pas à retrouver sa mère. Ou bien quoi qu'il en dise, il lui en veut terriblement, ou bien il sait quelque chose qu'il ne nous a pas dit. Je te passe la grand-mère ?
- Oui, tout de suite.
- Madame Escudier en ligne.
- Oui, allô , madame Escudier ? Je suis Nahida Matoub, enquêtrice professionnelle. J'ai eu la visite de votre petit fils monsieur Joël Escudier cet après-midi et il m'a confié la recherche de sa famille maternelle. Il m'a dit aussi que je pouvais venir vous rendre visite à ce sujet, que vous n'y verriez pas d'inconvénients, alors je vous appelle pour que vous me disiez à quel moment je peux passer vous voir si vous êtes d'accord.
-Je suis très contente que vous m'appeliez. Oui, mon petit fils ma parlé de cette recherche qu'il veut faire. Je ne comprends pas très bien pourquoi, après tout ce temps, mais je serai contente de vous expliquer qu'elle a été notre position à mon mari et à moi à l'époque.
- Comprenez-moi, madame Escudier, je n'ai aucun jugement à porter. Vous avez fait ce que vous pensiez le mieux pour votre petit fils. De toute façon, cette histoire ne sera sûrement pas très compliquée à régler. Votre belle fille est de Nîmes et votre petit fils à bien spécifié qu'il ne cherchait pas à retrouver sa mère, mais à savoir qui était sa famille de son coté maternel.
- Comment de Nîmes ? Mon petit fils ne vous a pas apporté le livret de famille de ses parents ?
- Si
- Alors, regardez le ! Ma belle fille est née à Essaouira au Maroc et au moment de leur mariage, elle était domiciliée à Montpellier. Non, c'est la tante qui est de Nîmes, à ce que nous avons compris à l'époque.
Nahida avait pris le livret de famille sur son bureau
- En effet, je ne l'avais pas encore regardé. Est-ce que je peux venir vous voir ? Vous me direz ce que vous savez sur votre belle fille.
- Mais oui, venez, je ne peux pas dire que ça me fait plaisir de reparler de tout ça maintenant mais si Joël a décidé de remuer cette histoire, il fera tout pour avoir satisfaction. Alors tant vaut-il vous aider si je le peux . Mais vous savez, nous ne savons rien sur eux. Venez demain vers cinq heures, ça vous va ?
- Entendu, demain dix sept heures, rappelez-moi vote adresse.
Nahida griffonna l'adresse de la vieille dame sur son bloc
- Vous avez entendu Gabriel ? Ca se complique, j'en étais sure !
- La mère n'est pas de Nîmes si je comprends bien.
- Non, elle est née à Essaouira au Maroc.
- Et c'est d'Essaouira qu'elle a envoyé la première carte à son fils
- C'est vrai, j'étais tellement surprise d'apprendre qu'elle n'était pas de Nîmes comme il me l'avait dit, que je n'ai pas fait le rapprochement. Bon on verra bien ce que me dira la Mamie demain. Si vous voulez bien, il est six heures on plie et on s'en va.
- Ne t'en fais pas, j'ai compris que tu devais amener ta maman faire des courses. J'ouvre le dossier Escudier et je ferme la boutique.
- Merci Gabriel, bonne soirée et à demain.